Cerner sa pratique et son rythme

© Nicola Fischer, Laura Calchini – HKB

En septembre dernier, neuf étudiant·e·s germanophones et six francophones ont débuté leur Bachelor en écriture littéraire. Pour mieux se représenter la vie à l’Institut littéraire et se faire une idée de ce qui se passe quand on commence un Bachelor en écriture littéraire, nous avons posé sept questions à Ella Stürzenhofecker, étudiante de première année, qui revient pour nous sur sa pratique, son quotidien, ses attentes et quelques unes de ses lectures.

 

Est-ce que tu te souviens de la première fois que tu es entrée dans le bâtiment de l’Institut ? Qu’est-ce qui a t’a particulièrement marquée ?

Je crois que ce qui m’a marquée c’est d’abord les escaliers en bois qui craquent. J’ai fait un premier Bachelor à l’université, avec des bâtiments beaucoup plus grands, en pierre, des salles et des couloirs immenses, et là, l’Institut ressemble plus à une maison. Ça dégage quelque chose de beaucoup plus familier, de plus intimiste, je trouve ça rassurant, je m’y suis vite sentie bien.

 

Dans quelle catégorie est-ce que tu te situes :
les étudiant·e·s qui écrivent à l’Institut

les étudiant·e·s qui écrivent à la maison
les étudiant·e·s qui écrivent n’importe où (dans le train, dans un parc, au café, à la bibliothèque...)

J’aurais clairement voulu coller à l’image de l’écrivain.x.e dans un café ou dans un parc, mais ça ne marche pas du tout pour moi. J’ai besoin de lumière et de silence pour réussir à me concentrer. Et de café aussi. Alors ça dépend, à la maison ça fonctionne pour des moments plutôt courts, ensuite je suis vite absorbée par autre chose. L’Institut est un cadre qui me plaît bien, aussi parce qu’on peut s’y retrouver avec d’autres étudiant.e.x.s, il y a la cuisine en bas, et j’aime bien ces sessions collectives, ça va contre l’idée d’une pratique d’écriture souvent perçue comme solitaire. La bibliothèque de la ville de Bienne est pas mal aussi, il y a des grandes fenêtres, et une machine à café dans la salle des journaux.

 

Si tu devais citer le texte d’un·e autre auteur·e que tu aurais voulu écrire, ce serait lequel ?

Mon mentor m’a fait découvrir Carmen Maria Machado, et j’ai surtout énormément aimé son deuxième livre, Dans la maison rêvée (In the Dream House, 2019), un texte autofictionnel qui aborde la question des violences conjugales au sein d’une relation entre deux femmes. L’autrice expérimente plusieurs formes d’écritures et différentes instances narratives, entre fragments et archives… C’est très puissant, et en même temps sa langue est très poétique.  

Un autre texte serait le recueil de nouvelles Trash, de Dorothy Allison, lui aussi autofictif. En fait ces deux autrices ont surtout une langue crue, elles nomment les choses telles qu’elles sont – qu’il s’agisse de violences, de désir ou de sexe. Cette efficacité, qui parvient à garder une qualité poétique, c’est quelque chose que j’aimerais beaucoup parvenir à faire.

 

Un personnage de fiction avec qui tu aimerais prendre un café ? Pour lui demander quoi ?

Je trouve cette question hyper dure ! En fait je crois que j’ai lu peu de romans récemment où les personnages m’ont marquée. Je m’attache très vite aux personnages ou aux gens qui ont un humour un peu absurde, qui posent un regard décalé sur le monde. J’ai découvert récemment la série Seinfeld, créé par l’humoriste Jerry Seinfeld dans les années 1990, et parfois il parle de choses banales mais tout en y voyant autre chose : à un moment il parle de la machine à laver, et il dit que vu que ça tourne, qu’il y a de la mousse, des lumières, c’est juste comme une discothèque pour les habits, et sûrement que ça paraît nul quand je l’écris comme ça, mais quand il raconte ça, avec sa gestuelle, c’est super drôle… Je crois que j’aimerais bien boire un café avec Jerry Seinfeld, juste pour l’écouter me parler du quotidien et des chaussettes qui vont faire la fête.

 

À quoi ressemble une semaine-type d’étudiante en 1ère année du Bachelor ?

Nous avons peu de cours mais beaucoup de temps aménagé pour l’écriture. Ce semestre, j’ai 2 jours de cours et 5 jours à essayer d’écrire, y penser, procrastiner, stresser, être soulagée. En première année en plus des cours obligatoires, il est possible de suivre des cours blocs, mais qui n’ont pas lieu chaque semaine. Ça laisse quand même du temps pour tout le reste : des lectures, des rencontres avec les autres étudiant.e.x.s, aller voir des concerts, les promenades vers le lac ou dans la forêt, monter à Macolin, travailler, se retrouver parfois le weekend à l’Institut avec un croissant pour des sessions d’écriture…

 

Qu’attends-tu de ces trois ans à l’Institut littéraire ?

Apprendre à cerner ma pratique, mon rythme, développer une régularité dans l’écriture. Découvrir aussi d’autres choses. On a la chance d’avoir accès à des cours transdisciplinaires à l’Institut Y, à des projets comme la Liesette littéraire (la revue de l’Institut), à des collaborations avec des étudiant.e.x.s en arts visuels, avec un théâtre… Ce sont des occasions et des projets qui sont grandement facilitées par le cadre d’une institution comme l’Institut, et je crois que c’est super d’essayer d’en profiter au maximum.

Et puis surtout des rencontres : de pouvoir entendre ou lire les textes d’autres personnes autour de moi, d’échanger là-autour, de se laisser influencer, de s’encourager, de se montrer… C’est une richesse dingue.

 

Perçois-tu déjà des changements dans ta façon d’envisager ta pratique d’écriture depuis le début des études ? Si oui lesquels ?

Que la relecture et la réécriture sont une part importante du travail, autant que la première phase de « création ». Avant l’Institut, je montrais moins mes textes, je ne savais pas toujours comment les retravailler, et le fait d’avoir un suivi individuel avec le mentorat, mais aussi en échangeant avec les autres étudiant.e.x.s, ça permet d’avoir des retours, des pistes, pour changer des choses, faire évoluer son texte. C’est très motivant je trouve.

Et puis aussi que, surprise !, l’inspiration et le talent n’existent pas, ou en tout cas ne suffisent pas, c’est plutôt une question de régularité, de constance, pour que petit à petit des choses émergent, pour venir retravailler des choses, affiner des idées, des phrases, expérimenter d’autres formes. Du coup c’est important d’essayer de se fixer un rythme – en tout cas pour moi. Mais ça, je le dis là, c’est ce vers quoi j’aimerais tendre, mais ce n’est vraiment pas encore le cas !

 

Propos recueillis par Romain Buffat