Sans un mot, elle monte à l’étage. Lorsqu’elle revient, elle a une énorme paire de ciseaux dans la main droite, un baquet dans la main gauche. Letizia, terrifiée, ne fait pas un geste. La mère saisit une mèche des si longs cheveux de sa fille. Elle ouvre les ciseaux, et, délicatement, à quelques millimètres à peine du crâne, elle la coupe. La petite fille sent le métal froid contre sa tête. Les cheveux tombent dans la main de la mère. Elle les enroule et les laisse tomber dans le baquet, à ses pieds. Elle continue. Une deuxième mèche, une troisième. Letizia reste immobile, les yeux fixés sur le sol, sur le carrelage brillant, où elle voit le reflet flou de son visage perdre ses cheveux. Elle se voit devenir chauve comme la mort. Au même endroit, comme l’autre fois, avec le père, dans le fond de la cuisine. Et comme l’autre fois, elle ne se défend pas. Le lendemain, Marie va vendre le tas de cheveux qu’elle a récupéré. Ils sont très beaux, en assez bon état, et si longs qu’elle en tire une belle somme, grâce à laquelle, comme elle l’a prévu, toute la famille peut manger pendant des semaines.
Arthur ne ménage pas ses efforts pour reconstituer la vie de sa grand-mère. De l’Italie du Nord à La Chaux-de-Fonds, en passant par le Tessin, une mosaïque sans concession prend forme, morceau par morceau. S’il interroge ses souvenirs, questionne les membres de sa famille, foule les lieux importants, l’auteur n’est pas pour autant dupe : par-delà les faits, le portrait de Letizia demeure une reconstitution infidèle et fantasmée de celle qui fut sa grand-mère. Au fil des pages, un récit passionnant et bouleversant de sincérité saisit le lecteur qui ressort ému et grandi de cette lecture.